24.06.2025
Matthias Mast

Immersion dans la forĂȘt de Giessbach

Quand science, bain de forĂȘt et rĂ©cits mythologiques se rencontrent: lors d’une visite guidĂ©e dans la forĂȘt de Giessbach, Diana Soldo, biologiste et spĂ©cialiste des sciences de l’environnement de la Fondation Franz Weber, et le conteur Andreas Sommer ont racontĂ© au public l’importance des forĂȘts proches de l’état naturel – un Ă©cosystĂšme encore bien trop rare en Suisse.

Les forĂȘts suisses sont bien plus que de simples Ă©tendues vertes : elles comptent parmi les milieux les plus riches en biodiversitĂ© du pays. Elles abritent environ 40 % de toutes les espĂšces animales et vĂ©gĂ©tales connues – du rare pic noir Ă  la mousse discrĂšte poussant sur un vieux tronc d’arbre. Les forĂȘts particuliĂšrement proches de l’état naturel et non exploitĂ©es apportent une contribution inestimable Ă  la diversitĂ© biologique.

Sur les hauteurs du lac de Brienz, une forĂȘt largement laissĂ©e Ă  l’état sauvage a accueilli une exploration de trois jours. Cette immersion dans la forĂȘt de Giessbach Ă©tait animĂ©e par Diana Soldo, biologiste de la Fondation Franz Weber, et par le conteur Andreas Sommer.

La grande valeur Ă©cologique de la rĂ©gion sera bientĂŽt officiellement reconnue : la forĂȘt de Giessbach est sur le point d’ĂȘtre classĂ©e en rĂ©serve forestiĂšre naturelle – une Ă©tape importante pour la protection Ă  long terme de cet Ă©cosystĂšme unique.

Bois mort et vieux arbres

Une « forĂȘt naturelle » se distingue par l’absence d’exploitation forestiĂšre: aucun abattage n’est pratiquĂ©, les arbres tombĂ©s restent sur place et le bois mort est laissĂ© Ă  la dĂ©composition. Ce processus crĂ©e un habitat prĂ©cieux pour les champignons, les insectes, les oiseaux et les petits mammifĂšres.

Diana Soldo explique avec passion comment cette Ă©volution naturelle de la forĂȘt favorise la biodiversitĂ©, et quel rĂŽle crucial y jouent les vieux arbres : «Les arbres communiquent entre eux, et les plus jeunes profitent de l’expĂ©rience et de la protection des plus anciens. » Mais ces « arbres-mĂšres » sont devenus rares en Suisse, notamment dans le Plateau, en raison d’une gestion forestiĂšre mal comprise. «Plus on laisse la forĂȘt Ă©voluer librement, mieux c’est pour la diversitĂ© des espĂšces – et pour notre bien-ĂȘtre Ă  tous», souligne l’experte.

La richesse d’une forĂȘt n’est pas le fruit des interventions humaines, mais de la prĂ©servation de structures variĂ©es, telles que les lisiĂšres naturelles, les zones humides ou les forĂȘts ombragĂ©es.

La forĂȘt et ses mythes

Un moment fort de l’exploration dans la forĂȘt de Giessbach fut la sĂ©ance de bain de forĂȘt (Shinrin Yoku), une pratique de pleine conscience originaire du Japon. Dans le silence de la forĂȘt, les participantes et participants ont prĂȘtĂ© attention aux sons, aux odeurs et aux ambiances – une expĂ©rience mĂ©ditative propice au calme intĂ©rieur.

L’excursion a Ă©tĂ© enrichie par les rĂ©cits vivants d’Andreas Sommer. Le conteur de lĂ©gendes a mĂȘlĂ© mythes locaux et observations de la nature pour offrir une expĂ©rience culturelle qui invitait Ă  percevoir le paysage non seulement avec un regard Ă©cologique, mais aussi spirituel.

« Raconter des histoires est aussi ancien que l’humanitĂ© elle-mĂȘme. Les histoires nous permettent, ne serait-ce qu’un instant, de dĂ©passer les limites du quotidien et d’entrer dans le monde inspirant de nos reprĂ©sentations intĂ©rieures », explique Andreas Sommer.

Un message qui fait écho

Cette exploration de trois jours Ă©tait bien plus qu’une simple balade dans la nature : elle a offert une expĂ©rience unique, mĂȘlant pleine conscience, comprĂ©hension de la nature et profondeur culturelle.

Durablement marquĂ©e par cette immersion, l’assemblĂ©e est repartie avec un message fort portĂ© par Diana Soldo : « Ce ne sont pas seulement les forĂȘts d’IndonĂ©sie, du BrĂ©sil, du Congo ou de Pologne qui ont urgemment besoin de protection. Nos forĂȘts ici, en Suisse, mĂ©ritent tout autant notre attention. Nous devons repenser notre rapport Ă  la forĂȘt et le transformer – en abandonnant l’idĂ©e qu’elle est un simple libre-service. » (Voir encadrĂ© : « Les forĂȘts suisses sous pression ».)

L’immersion dans la forĂȘt de Giessbach, dĂ©couvrir la nature autrement, les retours enthousiastes parlent d’eux-mĂȘmes : d’autres visites guidĂ©es sont dĂ©jĂ  en prĂ©paration !

Les forĂȘts suisses sous pression

Les forĂȘts du Plateau suisse subissent une pression croissante. L’exploitation forestiĂšre intensive, les taux Ă©levĂ©s d’abattage et la frĂ©quentation toujours plus importante liĂ©e aux loisirs fragilisent ces Ă©cosystĂšmes sensibles. Un problĂšme particuliĂšrement prĂ©occupant : l’abattage Ă  grande Ă©chelle de vieux arbres, souvent justifiĂ© par l’idĂ©e qu’ils ne survivraient pas aux effets du changement climatique.

Cette argumentation ne tient pas la route d’un point de vue scientifique. Les vieux arbres sont plus rĂ©sistants, stockent d’importantes quantitĂ©s de CO2 et offrent un habitat prĂ©cieux Ă  de nombreuses espĂšces – un rĂŽle que les jeunes forĂȘts ne pourront remplir que dans plusieurs dĂ©cennies. Leur disparition constitue une perte Ă©cologique, mais aussi culturelle et climatique.

La diversitĂ© forestiĂšre – et son rĂŽle d’espace de dĂ©tente de proximitĂ© – est menacĂ©e sur le Plateau suisse, en raison d’une exploitation trop intensive et de pratiques d’entretien souvent mal comprises.

Ainsi, les hĂȘtraies ne devraient pas ĂȘtre Ă©claircies ni les vieux arbres abattus, mais protĂ©gĂ©s. C’est la seule maniĂšre de prĂ©server les forĂȘts, adaptĂ©es depuis des millions d’annĂ©es Ă  leur environnement, et capables de s’ajuster aux changements futurs. Des forĂȘts intactes rĂ©gulent le climat et les cycles de l’eau, filtrent les polluants de l’air, produisent de l’oxygĂšne, favorisent la formation et la stabilitĂ© des sols – et bien plus encore.

Une gestion vĂ©ritablement durable des forĂȘts exige davantage de retenue – et le courage de redonner Ă  la nature l’espace et le temps dont elle a besoin.

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