Quand il est arrivé au sanctuaire Equidad, Luno boitait, affamé, perdu. Ses sabots, démesurément longs, ses dents malformées et de multiples inflammations témoignaient d’années d’abandon et de souffrance silencieuse. Aujourd’hui, grâce aux soins et à la bienveillance de l’équipe d’Equidad, il mène enfin une vie digne, libérée en partie de la douleur et entourée d’attention.
Une nuit, un tournant
C’était le 8 août 2025, alors que le soir tombait et que se levait, au-dessus des collines, la plus grande pleine lune que nous ayons jamais vue. Abandonné dans une rue proche d’une autoroute très fréquentée, Luno errait, terrifié. Pendant des heures, les klaxons, les crissements de freins et les accidents évités de justesse ont rythmé son calvaire. Ce soir-là pourtant, son destin a basculé : l’existence de Luno allait enfin prendre un tournant favorable.
Intervention de la police et du sanctuaire
Le sauvetage de Luno a commencé par un appel de la police : un cheval errait seul, dangereusement proche d’un axe de circulation. Sur place, aucun abri, aucune nourriture. Les habitants du quartier avaient déjà signalé plusieurs collisions évitées de justesse. Face à l’urgence, la police a ouvert une procédure officielle et autorisé notre refuge à intervenir. Ensemble, nous avons tenté d’identifier le propriétaire, sans succès à ce jour. Une enquête est toujours en cours.
Ce soir-là, sous la lune la plus claire de l’année, nous l’avons accueilli et lui avons donné un nom : Luno – écho masculin à luna, la Lune, témoin silencieuse du changement survenu dans sa vie.
Ces chevaux qu’on use jusqu’à l’abandon
L’endroit où Luno a été découvert – une rue bordant une autoroute – montre que ce problème dépasse le simple cas individuel. En Argentine, des milliers de chevaux sont encore utilisés comme de simples outils pour tirer des déchets ou transporter des charges. Lorsqu’ils ne peuvent plus travailler ou qu’ils sont blessés, ils sont souvent abandonnés, comme s’ils n’avaient plus de valeur. L’abandon est souvent le dernier chapitre d’une vie de labeur qu’on n’aurait jamais dû imposer à ces animaux.
Cette pratique ne met pas seulement en péril leur bien-être : elle met aussi en danger la collectivité, car une bête abandonnée et apeurée au bord de la route transforme la négligence en menace publique.
Peur, souffrances et premiers soins
À son arrivée, Luno se montrait très méfiant : il évitait le contact, sursautait au moindre geste et mangeait avec hésitation. Ses douleurs physiques en étaient la principale cause.
Un examen dentaire a révélé des arêtes vives et une usure irrégulière des dents, l’empêchant de mastiquer correctement. Après un ponçage minutieux effectué par notre dentiste vétérinaire, Luno mangeait déjà plus facilement. Des analyses de sang ont confirmé un état inflammatoire général, traité à l’aide d’antalgiques, d’anti-inflammatoires et d’antibiotiques.
Luno souffre également d’une blessure à la jambe liée à une tumeur, qui freine sa croissance et provoque une usure irrégulière de ses sabots. Cette pathologie nécessite des soins spécialisés à vie afin d’assurer son confort et sa mobilité. Notre podologue équin – le spécialiste qui vient chaque semaine s’occuper du troupeau – suit désormais son évolution.
Durant les 72 premières heures, un plan de stabilisation prudent a été mis en place : thérapie d’hydratation, traitement antidouleur, renutrition progressive pour éviter les complications métaboliques, apports en vitamines et environnement calme pour limiter le stress. Un régime adapté l’aide à reprendre du poids sans surcharger son organisme. Au fil des semaines – il est désormais en traitement depuis deux mois –, il a retrouvé son appétit, sa posture s’est redressée et son regard est devenu plus vif, plus confiant, plus doux.
Signaler, documenter, agir : la clé du changement
Ce sauvetage a bénéficié d’une autorisation officielle. Dès le premier appel, nous avons travaillé en étroite coordination avec la police, fourni des preuves et tenté d’identifier le propriétaire – en vain. Cette documentation joue un rôle essentiel : elle crée des précédents qui permettent l’application effective de la loi et encouragent les citoyens à signaler les cas de maltraitance. Quand les autorités réagissent, il devient possible d’éviter de véritables tragédies.
Au sanctuaire, nous répondons aux urgences, mais nous agissons aussi en amont. En collaboration avec les autorités locales et régionales ainsi qu’avec nos partenaires institutionnels, nous œuvrons à la réforme du cadre juridique pour interdire explicitement l’exploitation et l’abandon des chevaux, renforcer les sanctions et promouvoir des alternatives plus humaines. Nous travaillons également à mieux informer le public, afin que le signalement des cas de maltraitance devienne un réflexe.
Un avenir grâce à des soins sur mesure
Aujourd’hui, l’état de Luno s’est stabilisé. Il reçoit des soins réguliers pour ses sabots, des contrôles dentaires, un régime adapté et des exercices conçus selon ses capacités. Il demeure réservé avec les autres chevaux et prudent envers ses soigneurs, mais son pronostic est favorable : grâce à nos soins, Luno peut désormais mener une vie digne, apaisée et en partie libérée de ses souffrances.
L’histoire de Luno, miroir d’une réalité
Le cas de Luno révèle une réalité systémique : des chevaux exploités, puis abandonnés. Mais il montre aussi une voie d’action claire – signaler les abandons, collaborer avec les autorités et assurer une prise en charge complète, tout en travaillant à des réformes juridiques susceptibles d’éradiquer ces pratiques cruelles.
Luno n’est pas un cas parmi d’autres
C’est un être sensible, doté d’émotions et d’une volonté de vivre. Sa force, révélée lors de cette nuit d’août, nous rappelle pourquoi les refuges et les zones protégées sont essentiels : ils permettent de transformer le danger en sécurité, la négligence en sollicitude, et les crises en espoir.
Equidad – le sanctuaire de la Fondation Franz Weber
Ils s’échinent dans les rues étroites et dangereuses des villes d’Amérique latine. Dans les conditions les plus misérables, poussés et battus par leurs maîtres – les éboueurs –, ils tirent de vieilles charrettes bringuebalantes, surchargées de montagnes de déchets.
Les chevaux éboueurs. Rien qu’en Argentine, des dizaines de milliers d’entre eux attendent encore d’être libérés. Pour lutter contre ce fléau toujours répandu en Amérique latine, la Fondation Franz Weber (FFW) a créé le sanctuaire Equidad. Ce refuge accueille les chevaux éboueurs rescapés, leur prodigue les soins nécessaires et leur offre une nouvelle vie, dans la paix et la dignité.