01.12.2025
Tomas Sciolla

Vie et Adieux au sanctuaire des Eléphants du Brésil

Dernières éléphantes africaines captives d’Argentine, Pupy et Kenya ont enfin goûté à la liberté au Sanctuaire des Éléphants du Brésil – un lieu où les éléphants peuvent librement choisir, marcher, interagir et vivre dignement.

Un projet de longue haleine

Pendant plus d’une décennie, la Fondation Franz Weber a collaboré avec les autorités, des institutions partenaires et l’équipe du sanctuaire brésilien pour mettre un terme à la détention des éléphants en Argentine. Le plan était ambitieux, mais limpide: préparer chaque éléphant avec le plus grand soin, obtenir toutes les autorisations nécessaires et les transférer vers un lieu conçu pour eux.

Un nouveau départ

Pupy, longtemps détenue à l’Ecoparque de Buenos Aires, et Kenya dans celui de Mendoza, étaient les deux dernières éléphantes d’Afrique du pays. Leur transfert au Sanctuaire des Éléphants du Brésil (SEB), dans l’État du Mato Grosso (voir encadré), a marqué la fin du chapitre argentin de détention des éléphants –  et a enfin offert à ces éléphantes, après des décennies de captivité, la possibilité de rencontrer d’autres éléphants de manière naturelle.

Le quotidien au SEB

Pour les deux éléphantes, tout a changé. Elles avaient jusqu’alors vécu dans de minuscules enclos artificiels, sans congénères et sous des conditions climatiques inadaptées. Au sanctuaire, elles disposent désormais d’un terrain varié et adapté à leurs besoins.

Pupy a découvert le bonheur de longues promenades paisibles, d’explorer les pentes et les lisières d’arbres, et de chercher activement sa nourriture. Les soigneuses et soigneurs ont pu observer que son rythme est devenu plus calme, et qu’elle utilisait plus largement l’espace – des signes que la vigilance a peu à peu laissé place à la confiance.

Durant les premiers mois, Kenya a vécu la même découverte : un bain de poussière relaxant après le petit-déjeuner, des bains de boue réguliers, de longues promenades à travers les collines, et une démarche plus naturelle et plus souple grâce au sol vivant. Les effets sont visibles : des pieds plus sains, un meilleur confort articulaire, une respiration plus calme et un éventail élargi de comportements naturels propres à son espèce – une forme de guérison qui n’aurait jamais été possible en captivité.

Une amitié grandissante entre deux géantes

Le lien entre Pupy et Kenya s’est tissé au fur et à mesure que leur confiance mutuelle s’est développée. Après l’arrivée de Kenya, les deux éléphantes ont été installées dans des enclos voisins, afin qu’elles puissent décider elles-mêmes de leurs interactions et de la distance qui devait les séparer. Kenya s’est souvent approchée avec l’enthousiasme d’un éléphant qui n’avait pas vu de congénère depuis des décennies, tandis que Pupy, qui avait déjà vécu avec des compagnes plus dominantes, a choisi de poser des limites claires.

Les premières rencontres le long des clôtures, après les soins de routine, se sont déroulées dans le calme : quelques appels discrets, de longues stations silencieuses de part et d’autre, puis un retrait à volonté. Le premier contact physique fut bref et paisible – l’arrière-train de Pupy appuyé contre l’épaule de Kenya. Elles ont alors commencé à chercher plus souvent et plus longtemps le contact, tout en gardant la possibilité de dormir dans des lieux séparés lorsque cela leur semblait plus sûr. L’objectif n’était pas de forcer leur entente, mais de créer des conditions garantissant la liberté de choix.

La liberté de choix, un besoin fondamental

Pour des animaux hautement sociaux comme les éléphants, le choix de leur compagnie n’est pas un luxe, mais un besoin fondamental. Au Sanctuaire des Éléphants du Brésil, les pensionnaires sont libres de décider quand et comment ils souhaitent être ensemble. Ces interactions, fondées sur le consentement mutuel, favorisent la confiance et permettent aux éléphants d’exprimer pleinement leur individualité : échanger des vocalisations, marcher côte à côte, se nourrir ensemble ou se reposer tranquillement à portée de vue l’un de l’autre – selon leurs préférences et leurs besoins propres.

À long terme, cette socialisation autodéterminée favorise des routines plus stables et un éventail plus large de comportements naturels. En somme, le choix d’être ensemble constitue la base d’une vie saine et conforme à leur nature.

Promesse tenue

Le transfert de Pupy a marqué la fin de la détention des éléphants à l’Ecoparque de Buenos Aires – et avec celui de Kenya, c’est toute la captivité des éléphants en Argentine qui a pris fin. La campagne, entamée avec les premiers transferts – d’abord Mara, puis Pocha et Guillermina – s’est achevée avec ces deux éléphantes et a ainsi tenu sa promesse : faire de l’Argentine un pays sans éléphants en captivité, et un modèle qui mesure le succès non pas à l’aune de l’exposition des animaux, mais de leur bien-être.

Adieu, Pupy !

Le 10 octobre 2025, six mois après son arrivée au sanctuaire, Pupy est décédée – mais pas sans avoir, enfin, connu la liberté. Ces derniers mois lui auront permis de découvrir ce qu’elle n’avait jamais connu auparavant : l’espace, la liberté de se nourrir, d’interagir avec une élépante, et de vivre dans le respect et la dignité.

Au cours des jours qui ont précédé sa mort, les soigneurs ont remarqué qu’elle était plus distante et que ses troubles gastro-intestinaux se sont subitement aggravés. Des petites pierres noires – étrangères à l’environnement du sanctuaire – ont été retrouvées dans ses selles. Pupy s’est effondrée et s’est éteinte peu après, malgré les efforts déployés par l’équipe vétérinaire pour la ranimer. C’est l’un des aspects les plus difficiles du travail des sanctuaires : ils accueillent des éléphants âgés, marqués par des décennies de captivité dans des enclos inadaptés, souvent dans une solitude absolue, sans alimentation adéquate ni soins médicaux appropriés.

Une nécropsie est en cours afin de déterminer les causes exactes de la mort de Pupy. Les résultats, qui prendront plusieurs semaines, seront partagés publiquement dès qu’ils seront connus.

Jusqu’à ses derniers instants, Kenya est restée à ses côtés. Les soigneurs lui ont permis de rester à proximité du corps de Pupy, et elle a veillé calmement sur elle. Ce moment, empreint d’une grande douceur, témoigne du lien profond qui unissait les deux éléphantes, après tant d’années de solitude.

Des vies d’éléphants dignes au sanctuaire

Les faits sont indiscutables : pour les éléphants, un vaste territoire, un environnement riche et varié, la liberté de choix et la possibilité de tisser des liens sociaux ne sont pas des privilèges, mais des besoins essentiels. Or, la captivité — qu’elle prenne la forme d’un zoo ou d’un cirque — ne pourra jamais leur offrir cela. Les sanctuaires, au contraire, le peuvent.

La Fondation Franz Weber l’a démontré en Argentine, où la fin de la détention des éléphants est devenue une réalité nationale et une première mondiale. Ce qui avait commencé comme une campagne s’est transformé en un modèle vivant : des éléphants qui vivent enfin comme des éléphants.

Cette réussite ouvre la voie – elle prouve qu’avec de la volonté, de la coopération et de l’expertise, il est possible d’offrir à ces animaux une seconde vie, leur offrant dignité et respect.

Cette expertise nous permet aujourd’hui de travailler avec tout gouvernement ou institution désireux de franchir ce pas, en partageant notre expérience – du cadre juridique et des autorisations, jusqu’à la formation au transport et à la logistique transfrontalière. Notre objectif est clair : faire en sorte que, partout, la captivité des éléphants ne soit plus qu’un souvenir du passé.

Le paradis des éléphants libérés du Mato Grosso

Le Santuário de Elefantes Brasil (SEB) est une organisation à but non lucratif située dans la municipalité de Chapada dos Guimarães, dans l’État du Mato Grosso. Elle offre un nouveau lieu de vie aux éléphants captifs, dans des conditions et avec les soins nécessaires pour leur permettre de se remettre physiquement et émotionnellement des années passées en détention. Le sanctuaire abrite actuellement six pensionnaires : Maia, Rana, Mara, Bambi et Guillermina (des éléphantes d’Asie), ainsi que Kenya, une éléphante d’Afrique, désormais seule de son espèce depuis le décès de Pupy. Tous ont été sauvés après avoir passé des décennies dans des cirques et des zoos.

Le message d’adieu du Sanctuaire des éléphants du Brésil à Pupy

Pupy était une éléphante dont le regard semblait vous aspirer, révélant un puits profond d’émotions. Dès son arrivée au sanctuaire, elle s’est montrée curieuse, explorant les lieux avec curiosité et soif de nouveauté.

La boue était pour elle une découverte miraculeuse, et les arbres — autrefois lointains et inaccessibles — étaient désormais à sa portée.

Nous ne savons jamais combien de temps chaque éléphant passera au sanctuaire, et Pupy méritait sans aucun doute bien plus que quelques mois. Mais, comme nous le disons souvent, un seul jour au sanctuaire peut changer une vie. Pupy n’a pas pu échapper totalement aux conséquences de décennies de captivité, mais elle a su, avec une force incroyable, embrasser une nouvelle vie — et une nouvelle sœur : Kenya.

Bien que nos cœurs soient brisés, nous ressentons de la gratitude d’avoir pu être témoins de cette transformation : voir Pupy s’ouvrir au monde, et se permettre de vivre une relation authentique avec une autre éléphante qui l’aimait telle qu’elle était. Aujourd’hui, il est peut-être un peu plus difficile de sourire, mais nous choisissons de nous souvenir de Pupy et de son esprit lumineux — une éléphante qui a tant donné, même à celles et ceux qu’elle n’a jamais rencontrés.

Sa vie est un rappel puissant de la raison pour laquelle nous devons continuer à nous battre pour offrir une nouvelle vie aux éléphants en captivité. Son parcours jusqu’au Sanctuaire des Éléphants du Brésil est le témoignage de l’extraordinaire force de sa volonté de vivre et de sa capacité à trouver une issue à un lieu où elle n’aurait jamais dû se trouver. Son histoire est la preuve vivante que les sanctuaires sont nécessaires, urgents et essentiels pour protéger la vie de ces êtres merveilleux.

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