Après le Panama en 2022, Samarkand (Ouzbékistan) abritera en novembre la 20ème Conférence des Parties à la CITES (CoP20).
Les 185 États membres de la CITES se réunissent tous les trois ans pour décider du sort de nombreuses espèces sauvages : lesquelles resteront strictement protégées ? Lesquelles pourront être commercialisées ? Quelles seront les grandes oubliées ? Dans un contexte géopolitique tendu, les rapports de force risquent de faire pencher la balance, notamment sous l’impulsion des États-Unis, qui pourraient favoriser une libéralisation accrue du commerce – au détriment de la biodiversité. Quel avenir dans ce contexte pour les éléphants d’Afrique ?
La 20ème Conférence des Parties (CoP20) à la CITES se tiendra du 24 novembre au 5 décembre 2025 à Samarkand, en Ouzbékistan, et la Fondation Franz Weber (FFW), en tant qu’observateur officiel, sera présente. Tous les trois ans, cette réunion rassemble les États signataires de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) pour décider du niveau de protection accordé à différentes espèces. Sur la base des propositions déposées, des preuves et études scientifiques, mais aussi d’enjeux politiques parfois sensibles, les espèces sont classées dans l’une des trois Annexes de la Convention (voir encadré), en fonction du degré de menace qui pèse sur elles.
L’édition 2025 risque d’être fortement influencée par le contexte géopolitique tendu et une priorisation croissante des intérêts commerciaux et sécuritaires au détriment de la protection de la nature. L’enjeu est majeur, notamment pour les éléphants, car les décisions prises dans le cadre de la CITES ont un impact direct sur les politiques nationales de conservation, ainsi que sur la mise en œuvre de restrictions douanières à l’importation et à l’exportation des espèces concernées.
Protection des éléphants d’Afrique: l’enjeu de la taxonomie
L’éléphant d’Afrique (Loxodonta africana) est actuellement inscrit à l’Annexe I de la CITES, ce qui implique qu’en principe, aucun commerce international d’éléphants ou de parties d’éléphants (comme l’ivoire) n’est autorisé. Quatre populations d’éléphants (celles de l’Afrique du Sud, du Botswana, de la Namibie et du Zimbabwe) sont, quant à elles, inscrites à l’Annexe II de la CITES avec une annotation (A10) autorisant un commerce restreint malgré le degré de protection en principe moins important, lié à une inscription à l’Annexe II.
Mais il y a un « mais » : il existe, scientifiquement, deux espèces distinctes d’éléphants en Afrique – l’éléphant de savane (Loxodonta africana) et l’éléphant de forêt (Loxodonta cyclotis). La réalité scientifique ne correspond donc pas à la réalité juridique et la CITES cherche à combler cette lacune. La manière dont les Parties à la CITES choisiront de résoudre cette divergence lors de la CoP20 pourrait avoir des conséquences majeures pour la conservation des éléphants.
Ainsi, que se passerait-il si les deux espèces étaient inscrites séparément aux Annexes de la CITES ? Les éléphants de savane –classés comme « en danger d’extinction » sur la Liste rouge de l’UICN – pourraient être rétrogradés à l’Annexe II, ce qui affaiblirait leur niveau de protection sur l’ensemble du continent africain. À l’inverse, les éléphants de forêt, considérés comme « en danger critique » par l’UICN, resteraient inscrits à l’Annexe I.
Face à ce risque de fragmentation juridique, la FFW et de nombreuses autres organisations de protection de la nature recommandent de maintenir une inscription commune au niveau du genre (Loxodonta spp.). Cette solution garantirait une protection cohérente à tous les éléphants d’Afrique, sans générer de confusion ni de polémique stérile.
Marchés intérieurs de l’ivoire : le Japon fait l’autruche
Depuis une dizaine d’années, notamment grâce à l’action de la FFW au sein de la CITES, la majorité des grands marchés d’ivoire ont fermé leurs portes. La Chine, Hong Kong SAR, les États-Unis, le Royaume-Uni et, dans une moindre mesure, l’Union européenne ont restreint fortement le commerce intérieur de l’ivoire – réduisant ainsi les possibilités de blanchiment et de commerce sous couvert de légalité. Couplées à la destruction de stocks d’ivoire officiels, ces décisions ont contribué à freiner le commerce et, par ricochet, à réduire le braconnage.
Seul le Japon continue de résister à cette dynamique internationale, affirmant que son marché est imperméable au trafic – ce que contredisent les experts, pour qui ce marché alimente toujours le commerce illégal et les abattages d’éléphants. Par le biais des mécanismes de la CITES, la FFW continue de faire pression afin que ce marché soit enfin fermé : protéger les éléphants exige une action collective et aucun pays ne peut se permettre de rester à la traîne.
Éléphants vivants : plus jamais hors d’Afrique !
En 2022, lors de la CoP19 de la CITES à Panama, les Parties ont décidé de suspendre les exportations d’éléphants vivants hors d’Afrique, notamment à destination des zoos, dans l’attente d’une solution commune entre les pays africains concernés. Une « réunion de dialogue » avait eu lieu en septembre 2024 au Botswana, aboutissant à un consensus minimal, mais sans apporter de solution juridique claire. Ce flou laisse persister une incertitude sur l’interprétation des règles applicables au commerce d’éléphants vivants. Les pays d’Afrique australe, favorables au commerce international d’éléphants vivants, se heurtent à l’opposition de nombreux autres États de l’aire de répartition naturelle de l’espèce.
Les pays membres de la Coalition pour l’Éléphant d’Afrique (CEA), que la FFW soutient activement, défendent une position sans équivoque : les éléphants doivent rester en Afrique, et il faut mettre fin aux captures dans la nature – souvent d’éléphanteaux – destinées aux parcs zoologiques étrangers.
À la CoP20, il est fort probable que certains pays d’Afrique australe déposent de nouvelles propositions sur le commerce d’éléphants vivants. Sous prétexte d’unifier les règles à l’échelle du continent, ces initiatives pourraient en réalité affaiblir leur protection et rouvrir la porte à des exportations inacceptables. Fidèle à ses engagements et dans la continuité de ses campagnes Zoo21 et ELE, la FFW se mobilisera pleinement pour empêcher tout recul. Notre objectif : obtenir une réglementation claire et cohérente qui protège véritablement les éléphants – et les maintienne là où est leur place : en Afrique.
Combattre les tentatives d’affaiblissement
D’autres tentatives d’affaiblissement de la législation internationale pourraient également émaner de certains pays d’Afrique australe, qui reviennent régulièrement à la charge, de manière directe ou plus subtile, pour tenter de rouvrir le commerce de l’ivoire. Dans un contexte géopolitique tendu, marqué notamment par le désengagement croissant des États-Unis en matière de protection de la biodiversité, ces initiatives pourraient fragiliser encore davantage les mécanismes de protection internationale, au détriment d’espèces emblématiques comme l’éléphant. L’administration Trump a ainsi déjà pris des décisions préoccupantes, en autorisant la reprise des importations de trophées d’éléphants, en affaiblissant l’engagement américain au sein de la CITES, et en plaçant systématiquement les intérêts commerciaux au-dessus de la préservation des espèces.
La FFW combattra toute tentative de démantèlement des protections existantes, en particulier s’agissant des éléphants d’Afrique, dont le sort dépend directement de la fermeté des règles internationales.
La CITES – Comment ça fonctionne ?
La CITES (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction) est un accord international signé par 185 États. Son objectif : veiller à ce que le commerce international d’animaux et de plantes sauvages ne menace pas la survie de certaines espèces. Tous les trois ans, les pays membres se réunissent lors de la Conférence des Parties (CoP) afin de décider du niveau de protection accordé à celles-ci et les inscrire dans l’une des trois annexes :
• Annexe I : espèces les plus menacées, dont le commerce international est interdit, sauf exceptions très strictes (ex. recherche scientifique).
• Annexe II : espèces pas encore menacées, mais qui pourraient le devenir si le commerce n’est pas réglementé. Le commerce est donc restreint.
• Annexe III : espèces protégées dans certains pays qui demandent l’aide des autres États pour en contrôler le commerce (sur simple requête du pays).
Chaque année, le Comité permanent de la CITES (organe exécutif) se réunit pour assurer le fonctionnement de la Convention, prendre les décisions courantes et mettre en œuvre les décisions prises par les Conférences des Parties.
Et la Suisse dans tout ça ?
La Suisse est le pays dépositaire de la CITES, et abrite donc le Secrétariat de la CITES – qui assure le fonctionnement de la Convention. Extrêmement précis sur le plan technique et politique, notre pays est traditionnellement plutôt favorable au commerce et à l’utilisation qu’elle juge « durable » des espèces. Sa position est rarement favorable aux restrictions du commerce, à moins que les preuves d’un grave impact négatif sur la survie de l’espèce soient absolument irréfutables – en oubliant parfois le principe de précaution, fondamental en droit de l’environnement.