26.08.2025
FONDATION FRANZ WEBER

La nature au cœur

Depuis 1999 — donc depuis plus d’un quart de siècle — Vera Weber se dévoue à la Fondation Franz Weber (FFW). Elle en est la présidente exécutive depuis 2014. Mais en réalité, dit-elle, elle a fait partie de
la Fondation toute sa vie — ayant le même âge qu’elle, et ayant grandi dans l’effervescence des campagnes, les conférences de presse et l’engagement infatigable de ses parents, Judith et Franz Weber.

Vera Weber, en cette année de jubilé des 50 ans, vous sentez-vous plutôt ancrée dans le passé ou dans le présent? 

Tout le monde a une histoire. Moi aussi. Mais je vis très consciemment dans le présent — avec des souvenirs du passé et des pensées résolument tournées vers l’avenir. L’avenir a besoin de racines. C’est une belle formule — et elle est vraie.

Quelles pensées vous ont accompagnées lors de la préparation de ce numéro anniversaire?

Je suis touchée de faire un « bilan » de tout ce que nous avons pu accomplir en cinq décennies. Combien de paysages nous avons préservés, combien de souffrances animales nous avons empêchées, combien de biens culturels nous avons sauvés et combien de personnes nous avons sensibilisées, convaincues, mobilisées… Et tout cela avec une petite organisation indépendante. Peut-être que le secret réside justement là : petite mais redoutable — et sans compromis sur le fond.

Quels succès concrets vous remplissent de fierté, rétrospectivement ?

Un jalon important a été marqué par l’interdiction d’importation des produits dérivés de phoques dans l’UE en 2009. Plus tard, en 2017,  la Suisse a suivi, avec pour conséquence une baisse drastique de la chasse au phoque.

Un autre point fort a été l’initiative sur les résidences secondaires, dont j’ai dirigé la campagne. Ce fut la première initiative nationale remportée par la FFW. Même parmi ses opposants d’alors, elle a provoqué un changement de mentalité — de nombreuses communes ont aujourd’hui durci leurs règlements de construction.

Mais le succès le plus émouvant pour moi reste la mise en échec du projet d’Ozeanium à Bâle. Un immense aquarium d’eau de mer en pleine ville, loin de la mer — c’était révoltant. Nous avons mené une campagne forte, et la victoire au vote a donné une voix aux animaux marins.

Quel a été le facteur décisif de ce succès contre l’Ozeanium ?

Le slogan : « Protéger les océans là où ils sont. » Il allait droit au but. Au lieu de gaspiller 100 millions de francs pour créer un habitat artificiel, mieux vaut investir ces moyens intelligemment dans une véritable protection des océans — comme, par exemple, la préservation des poissons et récifs coralliens. Cette idée a fait réfléchir beaucoup de Bâloises et de Bâlois. Ce fut une victoire émouvante.

Était-ce, pour vous, un pas vers la fin des zoos ?

Non. Nous ne demandons pas leur abolition, mais leur réforme en profondeur. L’idée d’exhiber des animaux sauvages vient du 18e siècle — une époque sans photos, sans films, sans connaissances sur le bien-être animal. Aujourd’hui, nous savons mieux. Il est temps d’agir en conséquence. Les zoos sont en pole position pour cela : ils disposent de bonnes infrastructures et d’un personnel compétent, dont le savoir-faire mériterait d’être valorisé autrement que pour s’occuper d’animaux exotiques derrière des barreaux ou des vitres. Ce concept est dépassé.

Qu’implique concrètement une réforme fondamentale des zoos ?

Notre projet « inSitu » pour une protection de la faune sauvage dans son milieu naturel, vise notamment à faire des zoos des lieux de protection, et non d’exposition. Les animaux blessés ou saisis devraient y être soignés. En outre, nous prônons la fin de la reproduction d’animaux qui ne pourront jamais être réintroduits dans la nature. Quant aux animaux, comme les éléphants, qui souffrent particulièrement en captivité, ils devraient être transférés dans de vastes réserves. En France, un sanctuaire pour éléphants existe déjà ; un autre est en construction au Portugal. Et nous avons déjà organisé le transfert de cinq éléphants de zoos argentins vers une réserve protégée dans le Mato Grosso, au Brésil.

Un autre combat de longue date de la FFW est l’abolition de la corrida. Pourquoi avez-vous intensifié cet engagement ?

Quand j’étais au Canada pour la chasse aux phoques, une partisane en colère m’a lancé : « Occupez-vous plutôt de ce qui se passe chez vous — les taureaux torturés pour le divertissement. » Bien sûr, une cruauté n’en justifie pas une autre — mais sa remarque m’a touchée. J’ai donc relancé la campagne FFW des années 1980, et organisé en 2008 un procès retentissant devant le Tribunal international des droits des animaux, fondé par mon père.

Et vous avez eu du succès ?

Oui. Cela a fortement renforcé le mouvement en Catalogne. La plateforme « Prou ! » (« Assez » en catalan) avait lancé une initiative populaire qui a finalement récolté plus de 180’000 signatures. Résultat : le parlement catalan a voté l’abolition de la corrida le 28 juillet 2010 — le plus beau jour de ma vie ! J’ai pu recruter quelques semaines plus tard les principaux acteurs de la plateforme « Prou ! ». Désormais, nous luttons contre les corridas au niveau international — avec succès : de nombreuses villes et pays d’Amérique latine les ont interdites.

50 ans de la Fondation Franz Weber — et pourtant certains se demandent encore: est-elle toujours nécessaire ?

Plus que jamais. Aujourd’hui, la nature n’est plus détruite seulement au nom du profit ou par négligence, mais de plus en plus souvent sous couvert de protection du climat. C’est d’un cynisme absolu. On sacrifie nos forêts, nos paysages, nos écosystèmes — pour des dispositifs énergétiques prétendument « verts ». Sous prétexte de sauver le climat, on détruit ce qu’il nous reste de vivant. C’est devenu un dogme. Incontestable. Intouchable. Il ne tolère ni nuance, ni débat. Tout est permis, tant qu’on colle l’étiquette «protection du clima dessus.

La loi sur l’électricité, qui facilite la construction de centrales solaires et éoliennes, a été acceptée par le peuple suisse. Ne faut-il pas s’y plier ?

Nous nous réservons le droit d’intervenir là où c’est particulièrement grave — comme pour le projet Gondosolar en Valais ou le parc solaire prévu à Tamaro, au Tessin. Nous utilisons nos moyens juridiques de manière ciblée et efficace.

À l’étranger, on construit d’immenses centrales solaires et éoliennes…

… et pour cela, on rase des forêts entières et on recouvre les paysages. C’est un véritable carnage : le Reinhardswald, en Allemagne, cette forêt mythique des frères Grimm, est en train d’être sacrifiée pour des éoliennes. Et ailleurs, au Portugal et en Espagne, des centaines de milliers d’oliviers sont rasés pour installer panneaux solaires et éoliennes… C’est un crime, une aberration totale, que de sacrifier des écosystèmes anciens et vivants — au nom d’une prétendue protection du climat qui, en réalité, détruit la nature et affaiblit les écosystèmes si importants pour notre survie à tous.

La FFW a plus de mal à se faire entendre à l’étranger ?

Oui et non. La Suisse est unique avec sa démocratie directe, ses lois de protection des animaux, sur la nature et le paysage, et la possibilité pour le peuple de lancer référendums et initiatives. À l’étranger, la FFW connaît aussi des succès — en travaillant avec les autorités à l’échelle régionale et nationale.

Il sera intéressant de voir comment l’accord-cadre avec l’UE, sur lequel les Suisses voteront bientôt, impactera le travail de la FFW.

Je crains le pire !

Pourquoi ?

Cet accord… menace notre démocratie directe. Aujourd’hui, nous pouvons directement améliorer la protection des animaux et de la nature. Avec l’accord-cadre, beaucoup de thèmes seraient soumis au droit européen. Les initiatives pourraient être lancées, mais ne plus être mises en œuvre. Ce serait un énorme recul.

… pour d’autres raisons encore ?

L’immigration augmenterait. Cela signifie plus de monde, plus de pression sur la nature et la faune sauvage. Moins d’habitats naturels, plus de béton, plus de consommation de viande, plus de consommation d’énergie.

Vous parlez comme une politicienne UDC…

Je ne fais pas de politique partisane. Je parle en tant que défenseuse des animaux et de la nature. Ma cause, ce sont les animaux, la nature, et le paysage culturel. Je le dis sans égard pour la gauche ou la droite.

Des critiques disent que la FFW se disperse trop : énergie, animaux,
patrimoine culturel — plusieurs sujets à la fois.

Notre cœur bat pour les animaux, pour la nature — dans toute sa diversité. Sans nature, pas de vie. Sans paysage, pas de culture. Sans biens culturels, pas d’identité. Tout est lié. Et c’est précisément pourquoi nous agissons de manière large — mais jamais dispersée.

Vous parlez de « nous ». Que dit cela de votre style de direction ?

Justement, je parle délibérément de « nous », car à la FFW, une équipe engagée travaille en Suisse et à travers le monde sur nos campagnes et projets. Il ne serait pas juste de ne parler que de moi. Mais ce que je peux dire avec fierté, c’est que j’ai eu la vision de cette équipe — et que c’est moi qui l’ai construite.

On vous présente souvent comme « la fille de Franz Weber ». Qu’est-ce que cela vous fait ?

C’est le lot de tous les enfants de personnalités connues, mais c’est épuisant. Cette étiquette de «fille de» part certainement d’une gentille et bonne intention, mais elle occulte le fait que je suis une personne à part entière, avec ma propre histoire, mes convictions et des réussites que j’ai construites par mon travail.

Vous avez le même âge que la Fondation. Avez-vous déjà réfléchi à la succession ?

Bien sûr. Depuis des années, nous construisons une équipe forte et intergénérationnelle — des membres âgés de vingt ans à plus de quatre-vingts ans. Par ailleurs,  nous formons continuellement de nouvelles personnes. La FFW va perdurer. Car notre mission ne s’arrête pas avec moi – elle ne s’achèvera que lorsque les animaux et la nature n’auront plus besoin de protection.

Entretien mené par Matthias Mast

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