Bien souvent, des zones forestières sont entièrement détruites au prétexte de raisons sécuritaires, prétendument pour prévenir la chute des arbres ou des branches. Résultat : les arbres restants sont affaiblis, la forêt très endommagée et la vie des animaux compromise.
Des abattages ont souvent lieu dans les bois sous le couvert de la «sécurité». On nous explique que les arbres sont malades, infestés de scolytes ou de champignons, et qu’ils doivent donc être supprimés. Récemment, un ravin à la lisière de la ville de Zurich a été largement déboisé et constitue un exemple de cette pratique.
Conséquences de mesures excessives
Quand on leur demande pourquoi ce ravin a été autant élagué, les responsables invoquent diverses raisons : la sécurité des promeneurs ou la protection contre les inondations. Cette dernière, selon eux, ne serait pas assurée si l’on ne supprimait pas régulièrement des arbres trop grands ou malades. À les croire, beaucoup d’arbres étaient atteints de maladies et devaient être abattus. Dès lors, une intervention massive a été faite le long du lit du ruisseau, où il n’en subsiste qu’une poignée.
Paradoxalement, la sécurité a été, non pas améliorée, mais dégradée. Les arbres restants, gravement endommagés par les travaux forestiers, sont plus instables qu’avant et présentent un nouveau risque pour la sécurité. Comme leur exposition à la lumière, à la neige, à l’eau et au vent a changé, le risque de coup de soleil, de bris et de chute a augmenté, et la mort de branches et d’arbres entiers est programmée. Commence alors un cercle vicieux, qui ne s’arrêtera que lorsqu’une nouvelle cime dense et protectrice se sera formée – ce qui peut prendre plusieurs dizaines d’années.
Non seulement les arbres restants sont affaiblis, mais tout l’écosystème est fragilisé par cette intervention. Avec la perte des cimes protectrices et la vulnérabilité du sol dénudé, l’habitat entier se transforme. La précieuse couche d’humus est emportée, les racines restantes ne peuvent plus stabiliser la pente, et le sol touché par l’érosion ne peut plus stocker de grands volumes d’eau – ce qui augmente le risque d’inondation. De surcroît, en été, l’eau et les sols se réchauffent bien davantage que la moyenne, et en hiver, l’absence d’arbres protecteurs mène au gel et au verglas. Des créatures vivant sur le sol, sous la terre et dans l’eau, adaptées depuis des décennies aux conditions d’ombre et d’humidité, périssent. Et des espèces aimant l’ombre et l’humidité ont du mal à repousser. De nouvelles espèces se répandent, notamment des parasites et des néophytes envahissants, et la diversité décroît.
Les animaux sont eux-mêmes affectés
L’abattage des arbres détruit ou dégrade aussi l’habitat naturel de nombreux animaux. Beaucoup perdent ainsi leur habitat et leurs sources de nourriture – puis, dans le pire des cas, leur vie.
Des oiseaux vivant à la cime des arbres perdent leurs sites de nidification quand les précieux arbres creux, qui abritent des chauves-souris, des piverts et d’autres espèces, sont supprimés. Le sol et la litière des forêts, qui servent d’habitat et de source de nourriture à une foule de petites créatures, sont également très altérés. Des ruisseaux protégés auparavant par l’ombre sont maintenant exposés au soleil et n’offrent plus d’habitat adapté à une kyrielle d’êtres vivants. Pour les abeilles, les insectes, les vers, les reptiles, les limaces et tant d’autres, un changement dans la composition et la répartition des plantes, et la perturbation de la structure des sols et des cours d’eaux entraînent la famine et la perte des habitats. Des abris nocturnes, des quartiers d’hiver, des lieux de repli et des sources de nourriture disparaissent.
Des interventions ciblées plutôt que des coupes claires
Une vision globale de la situation aiderait à trouver des approches plus douces. Au lieu de raser des pentes entières, des interventions limitées permettraient aux écosystèmes de maintenir leur fonction.
Concernant l’abattage, on pourrait marquer avec soin les arbres problématiques et veiller à ce que des gardes forestiers et des bûcherons compétents ne coupent que ceux-là. Ces coupes mesurées empêcheraient d’abîmer d’autres arbres et le sol des forêts. De plus, on pourrait ôter le bois mort dangereux des cimes, sans avoir à couper les arbres. Pour garantir la sécurité des promeneurs, on pourrait fermer quelque temps les chemins critiques – un parcours ou un sentier peut parfois laisser place à une nature intacte ; l’Homme n’est pas la seule espèce à occuper la forêt. Ces mesures délicates permettraient de ménager les zones boisées et d’épargner de l’argent.
Souvent, des fonds publics sont dépensés pour les coupes, et il est donc important de réfléchir à ce qui est ainsi financé : chaque forêt doit-elle être exploitée ? Faut-il fournir constamment du travail au secteur forestier ? Les entreprises privées peuvent-elles s’attribuer des commandes et empocher les bénéfices ?
De nouvelles perspectives s’imposent
Cela ne peut plus continuer comme avant. Il ne faut plus défigurer la forêt au prétexte de mesures sécuritaires qui, souvent, réduisent la sécurité au lieu de la renforcer. La gestion des forêts doit tenir compte des conditions écologiques. La forêt abrite des milliers de formes de vie : arbres, herbes, mousses, champignons, lichens, mammifères, oiseaux, poissons, reptiles, insectes, et bien d’autres. La forêt devrait avoir droit à une existence digne. Car si elle ne va plus bien, nous non plus.