De vénérables chefs Kogis, venus d’Amazonie, ont fait le voyage jusqu’en Suisse pour nous faire part de leur vaste savoir. En nous honorant de leur présence et de leur expertise ancestrale, ils portent en eux l’espoir de préserver la diversité de la vie sur Terre, afin de nous aider à aborder différemment nos problèmes de société. Retour sur un riche échange entre d’une part, un point de vue scientifique, et d’autre part, une sagesse indigène perdue en Europe depuis des millénaires.
Je ne suis pas prête d’oublier ma journée en forêt avec les chefs Kogis! Grâce à cette rencontre, unique en son genre, j’ai pu découvrir leur sagesse et la profondeur de leurs liens avec la nature. Peuple autochtone du nord de la Colombie, les Kogis vivent depuis 4 000 ans en harmonie avec leur environnement. Malgré le colonialisme et l’industrialisation, ils sont parvenus à préserver leur savoir ancestral. En effet, leur culture ayant pour particularité d’être axée sur la protection de l’équilibre écologique, social et spirituel de la Terre, cela fait d’eux de véritables experts de la conservation et de la régénération des écosystèmes. Les peuples premiers, mieux que quiconque, protègent et respectent
leurs territoires, car ils savent que leur survie en dépend.
Union de la science et de la sagesse originelle
C’est au coeur d’un bois de l’Oberland zurichois que Lucas Buchholz – auteur d’un livre sur les Kogis, son équipe, des gardes-forestiers, des élus et quelques amoureux de la nature dont votre serviteuse, ont pu rencontrer les vieux sages, afin de mettre la science forestière moderne à l’épreuve du savoir indigène. Jusque dans les années 1990, les Kogis ont vécu retirés dans les montagnes et ont refusé tout contact avec le monde occidental. Mais avec l’urgence de la situation planétaire, ils ont choisi de sortir de leur isolement afin de nous venir en aide pour sauver la Terre. «La Terre est en grand danger. Elle est malade, à l’agonie. Cela ne peut plus durer» s’alarment-ils. En cause: l’industrialisation, qui en considérant notre planète comme un stock de marchandises où l’on croit pouvoir se servir indéfiniment,
a signé l’arrêt de mort de la maison du monde.
Les trois chefs Kogis, – deux hommes, une femme, et leur interprète –, que j’ai eu la chance de rencontrer, ont fait un long périple pour venir échanger avec nous. Chez eux, les anciens sont considérés comme des gardiens de la sagesse, qui veillent à préserver la force matérielle et spirituelle du monde. Je suis épatée par la détermination de ces individus qui, malgré leur âge avancé, ont pris la peine de traverser la planète pour nous transmettre leur savoir. D’autant plus qu’avec leurs sandales, leurs jambes nues et leurs vêtements légers, ils ne sont pas équipés pour affronter nos régions froides aux sols durs et accidentés!
Interdépendance
La rencontre commence par un tour dans une forêt exploitée, comme il en existe beaucoup sur le plateau suisse. Tailladée par les routes forestières et les pistes de débardage, saturée par les plantations d’épicéas, de pins Douglas importés et les clairières envahies de ronciers mais pauvres en arbres séculaires, la forêt suisse type offre un triste spectacle à nos visiteurs. Pour eux, qui vivent dans la forêt vierge, cette forêt symbolise l’état de la Terre et les mauvais traitements que nous lui infligeons. Alors que les discussions s’animent, le garde forestier qui mène le groupe fait part de son inquiétude pour les arbres qui souffrent de la sècheresse et de maladies. En Europe, en dehors des coupes arbitraires, peu d’alternatives sont envisagées pour pallier ces problèmes.
Pour en savoir plus sur les Kogis La survie des Kogis est menacée. Avec le développement du tourisme, la déforestation, et les ravages que provoquent les exploitations agricoles, minières et les centrales électriques en Amazonie, c’est tout l’équilibre biologique et climatique de leur région qui est détruit. En outre, l’assèchement des mangroves sur la côte, pour construire des industries et des ports, a perturbé le cycle de l’eau dans les montagnes où ils vivent. Et comme les pluies se font rares, les rivières se tarissent, car l’eau des montagnes provient des lagunes en aval. Pour les Kogis, ces fléaux s’ajoutent à la longue liste des territoires et des lieux sacrés dont ils ont été dépossédés par la colonisation. Pour eux, récupérer et réhabiliter ces terres est une priorité, une mission sacrée et une question de survie.Documentations actuelles • Le documentaire «Aluna» d’Alan Ereira • Le livre Leçons spirituelles d’un peuple premier, de Lucas Buchholz von Lucas Buchholz |
Pour les Kogis, c’est inconcevable. La forêt est à leurs yeux l’habitat sacré non seulement des hommes, mais aussi de la faune et de la flore. Notre survie dépendra de notre capacité à trouver des solutions pour le préserver. Les vieux sages sont sans appel: tout ce qui est invisible est lié, tout est un. L’eau, les arbres, les montagnes, les fleuves et les lacs forment une chaîne, dont il faut veiller à ne pas compromettre l’équilibre. Ils insistent sur le rôle majeur du loup dans notre écosystème, et suggèrent que nous lui accordions une place en le reconnaissant comme faisant partie d’un tout. Le message est simple: respecter la nature pour mieux la laisser exercer sa vitalité. Dès que nous cessons de la perturber par nos interventions abusives, elle commence à se restaurer en s’autorégulant, sans action humaine.
Savoir perdu
Les Kogis tiennent les forêts pour des êtres vivants, les plantes et les bêtes pour nos soeurs et nos frères. À leurs yeux, la nature étant une maîtresse qui s’adresse à nous, il nous faut simplement l’écouter. Le savoir se trouve dans la terre, l’eau, les arbres et les pierres. Chaque jour, ces éléments nous parlent des lois de la Terre, «la mère», et des principes des origines et de la vie. Selon eux, si nous retrouvons le savoir originel, la Terre mère nous écoutera et nous aidera à nouveau.
Pour les Kogis, le territoire est la clé de la vie. Ancrés à leur terre depuis des générations, ils s’en considèrent les gardiens, riches d’un savoir traditionnel et de connaissances primordiales. Amoureux de leur terroir, sur lequel ils veillent, les Kogis nous invitent à nous reconnecter avec la nature, à retrouver nos racines, et en faisant cela, à préserver nos propres origines. Il est crucial de retrouver le lien avec nos racines, la nature, l’eau, la terre et les arbres.
Préserver les vieux arbres
Les vieux arbres, que les Kogis appellent arbres-mères, sont très importants pour une région. Véritables gardiens du savoir de l’écosystème, il est capital de les préserver. Instinctivement, les Kogis savent ce que la science forestière confirme: les arbres-mères nourrissent et conservent les autres arbres dans un réseau collectif. Si le dernier arbre-mère meurt, les plus jeunes s’éteignent aussi. Les Kogis nous invitent à trouver nos arbres-mères, nos lieux sacrés, et à les protéger, car nos forêts souffrent. Hélas, dans cette forêt suisse, le constat est sans appel: même en cherchant bien, impossible de trouver d’arbres-mères. Tous ont été abattus. Seuls restent quelques arbres de plus de cent ans, notamment des chênes.
Alors que le garde-forestier nous mène aux arbres fraîchement plantés qui poussent derrière des clôtures, pour que les chevreuils ne les abîment pas, les Kogis nous interpellent. Selon eux, la plantation d’arbres étrangers est une erreur, car ils n’ont pas de savoir autochtone et perturbent l’équilibre. Ils recommandent ainsi de privilégier les essences naturelles et locales, qui possèdent nettement plus de vigueur, afin d’oeuvrer avec la nature, et non pas contre elle, et de garder certaines zones intactes, en faveur d’espèces animales et végétales.
Si certains gardes-forestiers n’ont pas adhéré au discours des Kogis, préférant repartir, ceux qui restent sont visiblement émus par leur philosophie. Beaucoup d’entre eux se disent soucieux de protéger les vieux arbres et les lieux d’exception dont regorge notre beau pays. Pour ma part, je suis enchantée de cette expérience. Mon voeu le plus cher est de la renouveler, afin de faire profiter le plus grand nombre du savoir des Kogis. Ces derniers, qui s’envoleront bientôt pour retrouver leur chère forêt, ont planté des graines. À nous maintenant de les faire pousser.