03.07.2023
Dr. Monica V. Biondo

Sauvegarde d’un petit bois pour protéger les choucas

Les choucas des tours, la plus petite espèce de corvidés en Suisse, sont considérés comme potentiellement menacés. Leurs habitats doivent donc être préservés, comme par exemple, à Mühleberg. Là-bas, la FFW a pu empêcher, en louant une zone boisée, l’abattage de vieux hêtres majestueux où ils s’étaient installés. Voici un témoignage personnel de Monica Biondo.

Un «Tchak, tchak» s’élève dans une forêt de ma commune, Mühleberg. J’avais entendu pour la première fois le cri typique du choucas (Corvus monedula) dans ce bois, sept ans plus tôt. Ce qui m’avait enchantée, car j’avais fait ma thèse sur les choucas à Morat et, au fil du temps, je m’étai beaucoup attachée à ces oiseaux intelligents et extrêmement vivants. Je suis donc allée voir s’ils étaient de passage ou s’ils avaient trouvé à se nicher dans cette belle forêt aux vastes et vieilles hêtraies.

Les possibilités de nidification sont devenues rares
Le choucas est un oiseau cavernicole et monogame. De manière générale, le mâle et la femelle se déplacent ensemble et, pour renforcer leur lien, se lustrent mutuellement les plumes. Ils nichent souvent par colonies dans des bâtiments, des tours, des falaises et aussi des arbres creux. Or, il reste de moins en moins de vieux arbres percés de cavités. Les maisons sont tellement rénovées que les choucas ne peuvent plus y nicher. Avec une population réduite à 1500 couples en Suisse, cet oiseau charmant se raréfie. À tel point qu’en 2021 la liste rouge des oiseaux nicheurs l’a porté dans la catégorie des espèces potentiellement menacées.

Lors de ma petite enquête, j’ai vu sur quelques hêtres des trous typiques de pics noirs, que les choucas occupent, parce qu’ils ne peuvent pas en creuser eux-mêmes. Quand j’ai visité le bois voisin à la saison des amours, j’ai été ravie de les voir apporter de la mousse et des brindilles dans ces trous pour y bâtir leurs nids. Mon coeur sautait de joie! À partir de là, ils n’ont pas bougé pendant la couvée. Une fois les oeufs éclos, ils sont allés chercher de quoi nourrir leurs petits dans les prés alentour, puis ils se sont montrés plus rarement jusqu’à la saison suivante.

Les choucas des tours sont de vrais acrobates des airs et volent d’habitude en couple. Même dans une nuée de corbeaux avec lesquels, souvent, ils cherchent leur nourriture dans les champs, ils sont faciles à distinguer par leur plus petite taille. Ces oiseaux chanteurs s’avertissent par des «Krrr». Oui, les corvidés sont des oiseaux chanteurs, même si les hommes ne trouvent pas leurs vocalises très harmonieuses.

Début d’une opération de sauvetage
En me promenant dans le petit bois avec mon mari au Nouvel An, j’ai été effrayée de voir que tous ses arbres étaient marqués pour l’abattage – même les vieux hêtres où nichaient les choucas. Cela m’a stupéfiée car, en rencontrant par hasard son propriétaire quelques mois plus tôt, je lui avais dit que des oiseaux très particuliers, qu’il fallait protéger, couvaient dans sa futaie. Certes, il avait mentionné qu’il ne s’intéressait pas à son bois.

Le 2 janvier, j’ai appelé le propriétaire, qui m’a encore assurée que sa petite parcelle ne l’intéressait pas. Il avait tenu le même discours au garde forestier et à la filière du bois. J’en ai alors déduit que la parcelle devait rester intacte, mais le garde forestier en a tiré une conclusion tout autre, comprenant qu’elle pouvait être exploitée. Ce sur quoi, elle a été ouverte à l’abattage – y compris les arbres où nichaient les choucas. J’ai alors contacté le garde forestier et un vieux collègue de la station ornithologique, spécialiste des choucas, qui a écrit un e-mail au garde-forestier pour l’inciter à les protéger. J’ai aussi fait appel à l’association locale de protection de la nature et à un voisin qui m’avait interrogée avec enthousiasme sur la «nouvelle espèce d’oiseau» qui vivait dans ce bois. Le lendemain, le garde forestier m’a rappelée et je lui ai expliqué la situation.

En Suisse, les choucas sont une espèce prioritaire dans le programme de conservation des oiseaux
L’Office fédéral de l’environnement (OFEV) place le choucas parmi les 50 espèces prioritaires du «programme de conservation des oiseaux». Pour assurer sa protection, des mesures sont prises pour sauvegarder ses nids existants dans les forêts exploitées, une action renforcée par des interventions ciblées. D’autres régions ont déjà beaucoup fait pour la préservation des choucas. À Kerzer (FR), des nichoirs ont été placés sur des pylônes à haute tension; malgré la proximité de l’autoroute, le bruit ne dérange pas les choucas. En Haute-Argovie, huit petites colonies forestières ont été enrichies de nichoirs spéciaux et défendues par des experts locaux, le garde forestier et l’association de protection de la nature. Cela devait donc être possible à Mühleberg.

Pendant la saison des amours, les corvidés – donc aussi les choucas sont protégés par la loi (Ordonnance sur la chasse et la protection des mammifères et oiseaux sauvages, Chapitre 7, Article 17, 1b) et les législations cantonales décident si leurs sites de reproduction doivent l’être aussi. La FFW est clairement de cet avis!

Lors de l’inspection sur place, mi-janvier, avec des représentants de la station ornithologique, de l’association locale de protection de la nature et des oiseaux, le propriétaire du bois et le garde forestier, il est apparu clairement que ces deux derniers avaient tout intérêt à conserver la colonie de choucas dans cette forêt très sauvage. Les choucas nous ont alors remarqués et observés avec attention, quelquefois bruyamment. Tout comme chez les hommes, le contact visuel est important chez les corvidés. Un corvidé peut comprendre les mouvements des yeux et les suivre, par exemple pour trouver de la nourriture cachée.

La FFW protège le petit bois grâce à un bail
Lors des échanges avec le garde forestier et le propriétaire, ce dernier s’est montré prêt à louer sa parcelle à la FFW et à l’association locale de protection de la nature, au lieu de la déboiser. En effet, dans les terrains escarpés, abattre les arbres n’aurait pas présenté d’intérêt financier. De plus, des arbres fraîchement plantés auraient mis des dizaines d’années à retrouver la même taille et la même valeur biologique. Une situation clairement «gagnant gagnant» pour le propriétaire et les choucas.

À la grande joie de la FFW, du propriétaire et du garde forestier, nous avons même suspendu trois nichoirs pour étoffer la colonie de choucas. Notre expert en soins des arbres, Fabian Dietrich, nous a aidés à choisir les hêtres les plus adaptés à cette installation. Grâce à lui, nous avons déjà pu sauver bien des arbres d’un abattage inutile. Début février, les nichoirs ont été accrochés par un froid glacial. Le propriétaire était aussi présent et les choucas se sont manifestés à grand bruit.

Ces efforts ont porté leurs fruits. Entre-temps, la FFW a encore pu louer une plus grande futaie voisine, où de nombreux arbres étaient aussi menacés par la tronçonneuse. Cela a permis de préserver un espace naturelpour les choucas et toutes les autres espèces de la forêt. À présent, je vois régulièrement plus de 20 choucas voler au-dessus du bois.

Mi-mars, les choucas ont commencé à se reproduire. Ils ont examiné avec intérêt les nichoirs, mais il leur faudra encore quelques années pour les adopter. J’aime aller dans les bois observer les choucas, ou voir comme ils me regardent, car ces oiseaux intelligents sentent toujours quand on les remarque, et se cachent en épiant les hommes; «Tchak! Tchak!» J’ai quand même pu prendre quelques photos.

Partager