On considĂšre en Suisse que le hĂȘtre est mal adaptĂ© au climat, car il doit lutter contre la sĂ©cheresse. Il est donc de plus en plus abattu, et remplacĂ© par de nouvelles espĂšces. Pourtant, le qualifier sans autre de perdant face au changement climatique et se dĂ©barrasser de tous nos hĂȘtres va justement aggraver le rĂ©chauffement du climat.
Le hĂȘtre commun (Fagus sylvatica), communĂ©ment appelĂ© «hĂȘtre», est l’espĂšce d’arbre Ă feuilles caduques (qui tombent en automne) la plus rĂ©pandue en Suisse. Dans les forĂȘts du Plateau, un arbre sur quatre est un hĂȘtre â lâespĂšce revĂȘt donc une grande importance Ă©cologique. DĂ©crĂ©ter que le hĂȘtre est inapte Ă affronter les dĂ©fis du futur est un signe d’arrogance et dâĂ©troitesse d’esprit.
En rĂ©alitĂ©, nous ne disposons que de peu de connaissances sur la maniĂšre dont le climat changera localement et saisonniĂšrement, et ne savons pas comment cela affectera l’Ă©cosystĂšme. Lâessentiel est de favoriser la capacitĂ© dâadaptation des arbres et des forĂȘts.
La diversité génétique garantit la survie
Cela fait des milliers d’annĂ©es quâil y a des hĂȘtres en Suisse. Par consĂ©quent, ils prĂ©sentent une trĂšs forte diversitĂ© gĂ©nĂ©tique, et donc un Ă©norme potentiel d’adaptation â y compris au changement climatique. La diversitĂ© gĂ©nĂ©tique est en effet fondamentale pour la survie Ă long terme de chaque espĂšce et constitue la base de la conservation de la biodiversitĂ©. Elle est le socle de la reproduction et aide les espĂšces Ă rĂ©sister aux maladies et Ă s’adapter Ă l’Ă©volution des conditions de vie. Face aux conditions climatiques changeantes, la capacitĂ© dâadaptation, Ă©galement connue sous le nom de «rĂ©silience», est dĂ©cisive. Des espĂšces telles que le hĂȘtre, Ă forte diversitĂ© gĂ©nĂ©tique, peuvent s’adapter plus facilement aux nouvelles conditions de vie que dâautres espĂšces Ă faible diversitĂ© gĂ©nĂ©tique. Par exemples, les essences dâarbres issues de cultures ou les espĂšces Ă©trangĂšres sont particuliĂšrement menacĂ©es. Il est donc capital, pour la forĂȘt et pour nous, de veiller Ă la prĂ©servation de la diversitĂ© gĂ©nĂ©tique et Ă l’Ă©change de matĂ©riel gĂ©nĂ©tique.
Nous devons faire confiance Ă la sĂ©lection naturelle et son expĂ©rience de millions d’annĂ©es â alors que la nĂŽtre, Ă nous les humains, date dâil y a quelques milliers d’annĂ©es Ă peine, depuis que nous cultivons des plantes et Ă©levons des animaux. La sĂ©lection naturelle fera pousser les arbres les plus aptes Ă s’adapter, ce que la nature fait depuis des millions d’annĂ©es. Il est utopique (et arrogant) de croire que nous pouvons faire mieux: lĂ oĂč les humains sont jusquâĂ prĂ©sent intervenus, les Ă©cosystĂšmes ont Ă©tĂ© dĂ©sĂ©quilibrĂ©s. Les exemples existent par centaines. Le cas de l’Ă©picĂ©a, qui a Ă©tĂ© plantĂ© Ă grande Ă©chelle chez nous sur le Plateau et qui maintenant meurt massivement, en est une illustration Ă©loquente.
Abattre des hĂȘtres pour planter des arbres issus de cultures, Ă faible variabilitĂ© gĂ©nĂ©tique, est un vĂ©ritable gĂ©nocide des arbres!
Nos sols doivent ĂȘtre protĂ©gĂ©s
Ă lâinstar de tous les arbres, le hĂȘtre souffre principalement lĂ oĂč le sol a Ă©tĂ© tellement compactĂ© par des machines lourdes qu’il peut Ă peine stocker de l’air et de l’eau. Le hĂȘtre continue de prospĂ©rer sur des sols qui ont conservĂ© une trĂšs bonne capacitĂ© de rĂ©tention en eau.
Un sol intact stocke plus d’eau et permet aux arbres de dĂ©velopper des racines profondes et saines, qui Ă leur tour peuvent absorber davantage d’eau. Les champignons se dĂ©veloppent Ă©galement mieux lĂ oĂč le sol est intact, rendant ainsi les plantes plus rĂ©sistantes Ă la chaleur et Ă la sĂ©cheresse, et renforçant leurs mĂ©canismes de dĂ©fense. 90% de toutes les plantes terrestres, y compris le hĂȘtre, entrent en symbiose avec les champignons mycorhiziens. Elles se lient aux filaments mycĂ©liens pour former des Ă©cheveaux qui transportent des substances et favorisent un Ă©change intensif entre les plantes et les champignons. Les arbres ont par consĂ©quent un accĂšs facilitĂ© Ă l’eau et aux nutriments et, en cas de sĂ©cheresse, l’eau disponible dans le sol est puisĂ©e de maniĂšre optimale. En outre, le rĂ©seau mycorhizien favorise l’Ă©change de nutriments et d’informations entre les arbres (certains appellent ce rĂ©seau le «Wood Wide Web»). Ce mĂ©canisme subtil renforce la biocĂ©nose et aide l’ensemble du systĂšme Ă mieux faire face aux changements.
Lâenjeu nâest donc pas de remplacer les hĂȘtres, mais de protĂ©ger les sols â cela afin dâaider non seulement les hĂȘtres, mais aussi tous les autres ĂȘtres vivants de la forĂȘt. Leur nombre est dâailleurs impressionnant, si l’on considĂšre qu’il y a davantage dâĂȘtres vivants dans une cuillĂšre Ă cafĂ© de sol forestier que dâĂȘtres humains sur terre!
Laisser faire la nature
Tant quâabattre des arbres et en planter de nouveaux sera une activitĂ© lucrative, il y aura toujours quelqu’un pour affirmer quâil est indispensable de supprimer des arbres en bonne santĂ© et de les remplacer par des arbres cultivĂ©s â la tendance actuelle est de planter des arbres provenant de rĂ©gions plus sĂšches.
Le sol forestier Le sol forestier est la couche supĂ©rieure vivante composĂ©e de particules organiques et minĂ©rales, dâorganismes du sol, de racines, d’air et d’eau. Il constitue la base de la vie dans la forĂȘt et fournit un habitat aux plantes, aux animaux, aux champignons et aux micro-organismes. Le sol stocke et filtre l’eau, ainsi que les polluants qui s’y dissolvent, rĂ©gulant ainsi le climat, prĂ©venant les inondations et produisant notre eau potable.Les sols forestiers sont créés grĂące aux minuscules organismes du sol qui Ă©crasent et dĂ©composent les restes de plantes, de champignons et d’animaux en humus. Un centimĂštre de sol peut mettre jusqu’Ă 100 ans Ă se former. Les sols diffĂšrent selon l’Ă©paisseur du systĂšme racinaire et la quantitĂ© d’eau qu’ils stockent et fournissent aux arbres. Le compactage des sols par les engins lourds, la pollution par des substances nocives et le changement climatique affectent gravement les fonctions des sols et endommagent l’ensemble de lâĂ©cosystĂšme. |
Or, le changement climatique ne se rĂ©sume pas Ă des pĂ©riodes de sĂ©cheresse plus longues, il se caractĂ©rise aussi par une augmentation de la tempĂ©rature, des tempĂȘtes, des gelĂ©es tardives, des prĂ©cipitations intenses et par lâapparition de nouvelles maladies. L’arbre «miracle», capable de rĂ©sister Ă tout cela sans problĂšme, n’existe pas. MĂȘme sâil existait, opter pour une monoculture ne serait de toute maniĂšre pas la solution â nous en avons suffisamment fait l’expĂ©rience.
Les espĂšces exotiques sont souvent vulnĂ©rables Ă dâautres facteurs environnementaux. Certaines essences sont, certes, capables de sâadapter, mais deviennent alors rapidement des espĂšces envahissantes qui dĂ©stabilisent tout le systĂšme. Les arbres qui poussent spontanĂ©ment dans la forĂȘt bĂ©nĂ©ficient des conditions optimales lĂ oĂč ils se trouvent, et font partie intĂ©grante de l’Ă©cosystĂšme local.
Abattre des arbres et dĂ©fricher les forĂȘts ne peut pas ĂȘtre la solution pour lutter contre le rĂ©chauffement climatique et la sĂ©cheresse: lĂ oĂč les arbres sont moins nombreux, les tempĂ©ratures augmentent et le sol s’assĂšche plus rapidement. A lâombre, en revanche, les arbres poussent plus lentement et sont donc plus robustes et rĂ©sistants, car ils emmagasinent moins d’air dans le bois.
Laisser les forĂȘts repousser naturellement est LA rĂ©ponse Ă la crise actuelle. Ainsi, lâadaptabilitĂ© des arbres aux conditions de vie dominantes est favorisĂ©e, tout comme la diversitĂ© biologique et gĂ©nĂ©tique de la forĂȘt.
Une réflexion systémique est nécessaire
Abattre et remplacer nos hĂȘtres indigĂšnes revient Ă perturber tout le systĂšme. Compte tenu des connexions Ă©troites et multiples entre tous les ĂȘtres vivants de la forĂȘt, l’abattage et le remplacement du hĂȘtre provoquent de graves changements au sein du systĂšme, dont nous ne pouvons estimer les consĂ©quences. La forĂȘt n’est pas seulement composĂ©e d’arbres, elle est Ă©galement peuplĂ©e de milliers d’espĂšces qui sont en relation les unes avec les autres. Il sâagit dâun systĂšme symbiotique, une communautĂ© de plantes, de champignons, de lichens, d’animaux et de micro-organismes qui interagissent admirablement les uns avec les autres. Les relations entre les espĂšces maintiennent la cohĂ©sion interne de la nature et confĂšrent aux systĂšmes leur rĂ©silience. Moins on perturbe un Ă©cosystĂšme, plus il est Ă©quilibrĂ© sur le plan Ă©cologique. La disparition d’un arbre aussi prĂ©pondĂ©rant que le hĂȘtre modifierait massivement et dĂ©sĂ©quilibrerait nos forĂȘts.
Intervenir moins est, à long terme, la mesure la plus judicieuse et la plus efficace pour la survie de nos écosystÚmes.