En janvier 2023, le zoo de Bâle annonçait avec fierté qu’un éléphanteau verrait bientôt le jour fin. La Fondation Franz Weber (FFW) avait alors averti des risques que présentait la grossesse de l’éléphante Héri. Résultat : le zoo a dû annoncer, mi-décembre 2023, que le bébé était mort dans le ventre de sa mère et que celle-ci était dans un état critique… Le zoo montre une fois de plus son ignorance et son incompétence en matière de détention et de reproduction d’éléphants.
La triste histoire d’Heri
Heri est une éléphante d’Afrique, née en 1976 au Parc national Kruger, en Afrique du Sud. A seulement 3 ans (1979), elle a été capturée et envoyée au zoo de Hanovre, pour finir, dès 1988 au zoo de Bâle. Cela fait donc bientôt 36 ans qu’elle vit enfermée au même endroit, même si son enclos a été rénové depuis. Elle ne connaît absolument rien de la vie « normale » d’un éléphant d’Afrique : arrachée à son troupeau encore bébé, elle n’a connu qu’une vie triste de béton, de froid, d’isolation, d’interactions forcées avec d’autres éléphants inconnus et le public, d’ennui et de deuil. En 2004, déjà, alors qu’elle avait 28 ans (un âge avancé pour un premier petit), le zoo de Bâle a tenté de la faire porter : un échec, traduit par un éléphanteau mort-né.
Sans faire d’anthropomorphisme, l’on peut imaginer ce que cela signifie, pour tout être vivant, et à plus forte raison encore pour un grand mammifère intelligent, dont le cerveau est comparé à celui des grands singes. Sans repères sociaux, sans aucune expérience, sans avoir été le témoin de naissances réussies au sein du troupeau, le stress ressenti par Heri déjà lors de sa première grossesse échouée (sans parler de sa détresse émotionnelle), devait être immense.
Tusker : le mâle vu comme une aubaine par le « Zolli »
Mais le zoo de Bâle n’en est pas resté là. En avril 2021, il a accueilli en grandes pompes l’éléphant d’Afrique mâle Tusker (né en 1992 également au Parc national Kruger, capturé en 1995 pour être envoyé dans des zoos d’Europe), dont le transfert avait un but très précis : permettre aux trois femelles du zoo de se reproduire. Le transfert du mâle aurait déjà dû avoir lieu en 2017, mais a dû être retardé car Tusker avait été exposé… à la tuberculose. A son arrivée, aucune mesure connue n’a été prise pour protéger les autres éléphants d’une possible contamination ; au contraire, leur proximité a été encouragée dans le cadre du programme de reproduction mené par le zoo !
L’annonce de l’inespéré pour le zoo : Heri était portante
En janvier 2023, le zoo de Bâle a annoncé « sa joie » après avoir découvert (!) que Heri était portante. Enfin, le « Zolli » allait pouvoir accueillir un éléphanteau, après 30 ans sans reproduction réussie. D’après le zoo, toutes les conditions étaient réunies pour que la naissance se déroule à merveille… ce que la FFW a immédiatement mis en doute dans un communiqué, se disant extrêmement préoccupée par cette annonce.
Le biologiste Keith Lindsay, expert en éléphants avec lequel la FFW travaille depuis de nombreuses années, avait même estimé que le risque de mortalité de l’éléphanteau étaient « extrêmement élevés », en raison notamment de l’âge avancé de Heri, de son manque d’expérience (elle n’a donné naissance qu’une seule fois, en 2004, d’un éléphanteau mort-né), de l’absence de femelles plus âgées pouvant l’assister et des conditions météorologiques lors de la naissance prévue (en plein hiver). Tomas Sciolla, expert de la FFW en conservation de biodiversité et en transformation de zoos, constatait par ailleurs que le zoo de Bâle existe depuis 1874, soit près de 150 ans, et que durant toute son existence, il y a eu seulement deux naissances d’éléphants viables.
Tusker atteint de tuberculose et euthanasié
Nouvelle « surprise » pour le zoo : en août 2024, il découvre que Tusker était en fait atteint de tuberculose « depuis des mois » (rappelons-nous que, justement, son transfert avait été reporté parce qu’il avait été exposé au virus), et il a donc « dû » être euthanasié. Manifestement, aucune mesure n’avait été prise pour l’isoler des trois éléphantes dès les premiers symptômes, et surtout Heri, que le zoo savait portante. Le Dr. Lindsay, qui s’était rendu sur place en juin 2023, avait lui-même remarqué que le mâle semblait affaibli – ce que les vétérinaires du zoo auraient également dû voir bien en avance pour éviter la contamination des autres éléphants.
Une fois encore, la FFW a dénoncé la passivité et l’incompétence du zoo de Bâle dans un communiqué de presse, appelant à la fin de la détention et surtout du programme de reproduction d’éléphants. A cette occasion, un autre expert avec lequel travaille la FFW, le Dr. David Perpiñan, vétérinaire et expert en médecine zoologique, a indiqué que, « Selon plusieurs études, la plupart des cas de tuberculose chez les éléphants sont dus à la forme humaine de la tuberculose (Mycobacterium tuberculosum) et sont donc transmis de l’homme à l’éléphant !». Cela signifie que cette maladie touche majoritairement des éléphants qui ont été en contact avec des humains – donc les éléphants captifs. Le décès de Tusker n’est absolument pas dû à de la « malchance », mais bien aux conditions de détention dans les zoos.
Des signes inquiétants
Le 20 novembre 2023, la FFW a adressé une lettre au zoo de Bâle, pour lui faire part de ses préoccupations quant à l’état de santé de Heri. Des collaborateurs de la Fondation s’étaient en effet rendus sur place à plusieurs reprises, et avaient constaté que l’éléphante, pratiquement au terme de sa grossesse, présentait des signes extrêmement inquiétants. La FFW rappelait au zoo que les lignes directrices sur les éléphants de l’EAZA (European Association of Zoos and Aquariums), ne recommande pas de permettre à des femelles de plus de 20 ans, sans expérience en matière de reproduction, de devenir portantes (Heri avait 28 ans lors de la première grossesse infructueuse, et 47 ans cette fois). D’ailleurs, selon le Dr. Lindsay, « les risques pour l’éléphanteau et la femelle sont clairement décrits, et il est difficile de comprendre pourquoi le zoo de Bâle, qui est membre de l’EAZA, a choisi d’ignorer ces recommandations et de permettre la conception et la grossesse. »
Surtout, la Fondation proposait au « Zolli » l’assistance de ses experts (biologistes et vétérinaires) pour que la naissance puisse se dérouler dans les meilleures conditions possibles, malgré les risques. Le zoo s’est fendu d’une réponse de 5 lignes, informant la FFW qu’il trouvait sa lettre « irritante et hypocrite », affirmant qu’il se réjouissait de la naissance prochaine et était parfaitement au courant des risques…
Le drame
Le zoo aurait peut-être dû réfléchir à deux fois avant de refuser si catégoriquement l’offre d’aide de la FFW. Le 15 décembre 2023, le zoo a publié un communiqué, indiquant que l’éléphanteau dont la naissance était tant attendue ne donnait plus aucun signe de vie dans le ventre de sa mère, et que cette dernière était dans un état critique. La FFW a évidemment immédiatement réagi pour dénoncer ce drame totalement prévisible.
Plus tard, le zoo a précisé que l’état de la mère s’était finalement, et heureusement, stabilisé, mais que l’éléphanteau, mort, était resté dans son ventre – ce qui, selon le zoo, est parfaitement normal et ne pose aucun problème pour la mère ; soit il serait évacué « naturellement », soit il resterait dans son ventre comme une « pierre dans un estomac ». L’on croit rêver… Depuis lors, silence radio du côté du zoo.
Le fait est que les risques pour la mère ne sont pas connus, et qu’ils sont loin d’être écartés. Plus important encore, cette situation, dont la FFW avait averti il y a un an déjà, aurait pu être évitée en empêchant la fécondation d’une éléphante âgée et sans expérience par un mâle exposé à la tuberculose, en prenant des mesures pour éviter que Heri soit exposée à la maladie durant sa grossesse, et surtout en mettant un terme à un programme de reproduction qui ne sert strictement pas la conservation de l’espèce. Les éléphants de nos zoos ne sont tout simplement jamais remis en liberté : ils vivent toute leur vie dans des enclos sordides, sous des conditions météorologiques défavorables, et sont sujets aux caprices des zoos, qui veulent à tout prix des éléphanteaux pour faire augmenter leur fréquentation… et leurs bénéfices.
Le zoo de Bâle, comme ceux de Zürich et de Rapperswil, sont les seuls en Suisse à encore détenir des éléphants. Il est temps d’y renoncer.
Quelles alternatives pour les éléphants des zoos ?
Les éléphants dans les zoos de Suisse n’ont pas beaucoup d’alternatives à leur triste vie de captivité : ils ne peuvent pas raisonnablement être remis en liberté, car ils ne sont plus adaptés à la vie sauvage. Il existe en Europe un seul sanctuaire pour éléphants, en France (…). Contrairement aux zoos, dont le seul véritable objectif est le divertissement du public pour engendrer des bénéfices, les sanctuaires sont axés sur le bien-être des animaux. Ils sont dotés de grands espaces verts, permettant aux éléphants d’adopter leurs comportements naturels : la recherche constante de nourriture (de l’herbe principalement), la création libre de groupes sociaux – ou la possibilité de s’éloigner des interactions sociales qu’ils ne souhaitent pas, etc. Le sanctuaire de France est toutefois trop petit pour accueillir tous les éléphants captifs du continent… Un projet de sanctuaire au Portugal est en route, mais ne suffira pas non plus à libérer tous ces pachydermes. Ce qui est sûr, c’est que les zoos doivent arrêter d’importer des éléphants sauvages et mettre un terme à leurs programmes de reproduction en captivité, pour qu’au moins, plus aucun éléphant ne doive à l’avenir subir le sort de leurs congénères captifs.
Des explications fumeuses
Alors que le zoo affirmait, en janvier 2023, que toutes les conditions étaient réunies pour permettre une naissance sans problème, il indique désormais qu’il a toujours été au courant des risques… que croire ? Vu les « surprises » répétées auxquelles le zoo semble faire face (fécondation de Heri par Tusker, alors qu’elle était jugée trop âgée, maladie puis mort de Tusker, mort de l’éléphanteau, etc.), l’on doit plutôt pencher pour une incompréhension de la biologie des éléphants, et une incompétence en matière de détention et de reproduction des éléphants. Preuve en est, d’ailleurs : cela fait plus de 30 ans que le zoo n’a pas connu une seule naissance d’éléphant réussie… et durant ce laps de temps, six éléphants au moins sont décédés à Bâle, sans compter les éléphanteaux mort-nés.
Le cas de Heri aura des suites politiques
La FFW n’est pas la seule à s’interroger sur la gestion des éléphants, et surtout du cas de Heri, par le zoo de Bâle. La députée au Grand Conseil de Bâle Ville, Christine Keller, a déposé en janvier 2024 une interpellation pour obtenir des réponses à un certain nombre de questions, non seulement sur Heri, mais aussi sur l’orang-outan femelle, Revital, qui est décédée en 2023, quelques jours après avoir donné naissance à un petit qui a finalement été euthanasié par le zoo parce qu’il n’aurait pas eu des perspectives suffisantes de survie… Les réponses obtenues du Canton, notamment de l’Office vétérinaire, sont pour le moins décevantes : les « normes » sont respectées par le zoo, aucune mesure n’est envisagée contre le zoo, la reproduction permet « d’enrichir » la vie des éléphants captifs, et les zoos jouent un rôle dans la conservation des espèces, de manière générale. Aucune information n’est donnée quant à la décision de laisser Heri en contact avec un mâle potentiellement malade, alors qu’elle ne devait pas tomber enceinte à nouveau, vu les risques pour la mère et l’éléphanteau. La Députée Keller ne compte pas s’en arrêter là : elle continuera à poser les questions qui dérangent, notamment dans le cadre de la Commission qui examinera les subventions conférées par le Canton de Bâle-Ville au zoo.