Mi-décembre 2022, l’immense aquarium cylindrique «AquaDom», façade de l’hôtel Radisson Blu de Berlin, a explosé. La Fondation Franz Weber (FFW) a immédiatement réagi par une lettre ouverte pour tenter d’éviter un projet similaire: la construction d’un hôtel pourvu d’un aquarium géant, «Coral World», dans la baie de Rummelsburg à Lichtberg (Allemagne). Le drame de Berlin risque de se répéter.
En décembre dernier, «AquaDom», l’aquarium géant qui faisait partie de la façade de l’hôtel Radisson Blu à Berlin, a explosé, entraînant la mort d’environ 1’500 poissons d’ornement. Peu de temps après la tragédie, on a appris que la société israélienne Coral World planifiait, elle aussi, de construire un immense aquarium cylindrique dans la baie de Rummelsburg. En conséquence, le Conseil du bâtiment de Lichtenberg a temporairement suspendu le début de la construction prévu pour janvier 2023, invoquant bien évidemment des problèmes de sécurité – sans toutefois enterrer complètement le projet.
Ce n’est pas la première fois qu’un aquarium géant éclate. Un accident similaire s’était en effet produit à Mazatlán (Mexique) en 2017, ainsi qu’à Shanghai (Chine), en 2012 et à Sydney (Australie) en 2002. Heureusement que «l’AquaDom» a éclaté durant la nuit, sans quoi l’étendue de la catastrophe ne se serait pas limitée à 1’500 poissons, mais aurait aurait aussi probablement fait des victimes humaines.
Faits et chiffres sur les poissons d’ornement et leur commerce
Visitez le nouveau site internet www.procoralfish.org pour plus d’informations sur le commerce des poissons marins d’ornement. Vous trouverez ici tous les faits présentés dans l’article, qui proviennent de publications scientifiques (évaluées par des pairs). |
Dans une lettre ouverte, la FFW a demandé qu’il soit renoncé au projet de Rummelsburg, véritable bombe à retardement. Outre les aspects sécuritaires, au vu de la crise climatique et des graves menaces qui pèsent sur les récifs coralliens, de tels projets ne font aucun sens. Combien de poissons devront encore mourir dans d’horribles conditions avant que l’humanité ne comprenne que ces pratiques n’ont rien à voir avec la protection des espèces?
Arrachés aux récifs coralliens
Presque tous les poissons marins qui nagent dans un aquarium sont capturés dans la nature, directement sur les récifs coralliens. Un grand nombre d’entre eux meurent lors de la capture, pendant le transport ou plus tard dans l’aquarium. En tant que zoologiste titulaire d’un doctorat sur le commerce des poissons marins d’ornement (poissons coralliens), je sais que les aquariums d’exposition n’ont aucune utilité pour la conservation des espèces. Sur les quelque 2’500 espèces de poissons marins d’ornement disponibles dans le commerce et présentées dans les grands aquariums et les aquariums privés, seules environ deux douzaines se reproduisent en captivité (en nombres commercialement viables). Il s’agit pour la plupart de poissons-clowns («némos») et d’hippocampes. Or, les récifs coralliens sont gravement menacés par le réchauffement climatique; un tiers des récifs coralliens ont déjà été irrévocablement détruits et, d’ici à la fin du siècle, nous en perdrons plus de 99% en cas de réchauffement planétaire excédant 2°C (la Suisse ayant déjà atteint ce stade) selon le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Dans ce contexte, tous les poissons coralliens sont, à terme, menacés d’extinction.
Chaque année, entre 15 et 30 millions de poissons marins d’ornement – allant même jusqu’à 150 millions selon certaines études – sont commercialisés dans le monde entier. L’Allemagne à elle seule importe annuellement près de 600’000 poissons coralliens – et ces chiffres ne prennent pas en compte le taux de mortalité avant l’arrivée dans l’aquarium, taux qui peut être très élevé selon les espèces (de sorte que les poissons coralliens doivent être capturés chaque année pour remplir les stocks).
Cependant, ce commerce centenaire n’est pas surveillé, et les espèces concernées ne sont pas protégées au niveau international. Dès lors, il existe peu de données ou d’études scientifiques sur l’impact de l’industrie des aquariums – et surtout des prélevements répétés dans la nature. En somme, chaque poisson peut librement être vendu et acheté.
L’exemple du Labre nettoyeur commun, appelé aussi «Poisson nettoyeur» (Labroides dimidatus), qui joue le rôle de gendarme sanitaire pour les autres poissons coralliens et élimine leurs parasites, montre à quel point la disparition d’une seule espèce d’un récif corallien peut être lourde de conséquences: dans le cadre d’une étude scientifique, les chercheurs ont retiré tous les labres nettoyeurs communs d’une zone, ce qui a entraîné la dégradation très rapide d’un récif corallien tout entier (Waldie et al., 2011 et Grutter et al., 2017).
Les poissons d’ornement ne sont pas les seuls à disparaître à jamais de la surface de la planète: un million d’espèces animales et végétales subissent le même sort. Lors de la Conférence des Nations unies sur la biodiversité (CBD) qui s’est tenue en décembre à Montréal, au Canada, en décembre 2022, les dirigeants mondiaux ont décidé de protéger 30% des zones terrestres et marines de la planète. Si l’on veut être cohérent, on doit donc aussi renoncer à créer de nouveaux aquariums géants – ils n’apportent absolument rien au combat contre l’effondrement de la biodiversité et la crise énergétique, au contraire, ils y contribuent.
« Protéger les océans là où ils se trouvent »
La FFW enquête sur le commerce des poissons coralliens depuis 2013. Peu de temps après que le Zoo de Bâle a présenté les plans de l’Ozeanium, Vera Weber et la biologiste marine Dr Monica Biondo ont organisé la résistance contre ce projet obsolète, nocif pour la mer et les animaux, qui allait enfermer et exposer des espèces sensibles et menacées. Les grands aquariums ne contribuent ni à la conservation des espèces, ni à la sensibilisation du public à la protection de la nature. Grâce à la campagne de la FFW, les électeurs et électrices de Bâle ont décidé de rejeter le projet Ozeanium le 19 mai 2019. Cette décision est un signal fort pour le monde entier, pour que les océans soient protégés là où ils se trouvent. Informations complémentaires : www.nozeanium.org |
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